Titulaire d’une chaire d’excellence industrielle dans le cadre du programme HOPE*, Régis Largillier interroge pour Mobil’is les liens entre mobilité et précarité.
Comment définit-on la précarité énergétique ?
Régis Largillier. « La définition officielle est inscrite dans la loi française, mais elle se concentre sur la question des logements énergivores. Or, quand j’ai lancé cette chaire en 2018 afin de mieux connaître les ressorts de la précarité énergétique, j’insistais déjà sur le fait que l’essence est une énergie. Cette
question a encore plus d’acuité aujourd’hui, même si elle ne semble pas figurer à l’agenda des politiques publiques. »
Pourquoi parle-t-on de précarité énergétique quand on évoque les mobilités, et qui cela concerne-t-il ?
« Car pour ceux qui consomment de l’énergie, tout est lié ! Cette précarité se manifeste globalement chez les personnes vivant dans des passoires thermiques et n’ayant plus d’argent pour se mouvoir. Elle est aussi sensible dans les foyers qui enregistrent une facture énergétique trop élevée par rapport à leur budget et chez les personnes qui n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois parce que leur poste essence a explosé. Et puis, elle concerne les malades qui vivent à la campagne et qui ont besoin de faire 80 km pour consulter un spécialiste. Et ceux aussi qui ne peuvent pas pénétrer en zone à faibles émissions mobilité (ZFE-m), dont Grenoble fait partie. »
Quelles sont les conséquences de cette précarité énergétique sur le quotidien des personnes impactées ?
« Elles sont évidemment financières. Elles impactent des personnes ayant des difficultés à payer leur essence, ce qui a une grande influence sur leurs autres budgets et les pousse à des restrictions. Les individus en situation de précarité énergétique vont se priver d’un repas avant d’aller au travail, refuser un emploi trop éloigné du domicile, s’endetter pour utiliser la voiture… Les conséquences
sont de surcroît sociales, sanitaires et psychologiques : la peur du jugement
des voisins, le repli sur soi faute de moyens pour pratiquer des loisirs, l’absentéisme scolaire… De plus, quand on est précaire, on peut être pointé du doigt parce qu’on utilise un véhicule polluant. »
Est-ce alors, et selon vous, le bon moment pour imposer une sobriété énergétique, des restrictions ?
« D’après moi, cela dépend pour qui. Ne faut-il pas commencer par imposer des restrictions à ceux qui peuvent se le permettre ? Pour les autres, il faudrait sortir du schéma selon lequel la voiture est l’objet d’un statut
social ; il s’agit d’abord d’une question de mobilité, d’un simple moyen pour se déplacer d’un point A à un point B. »
La solution serait-elle dans les exceptions à la règle ou dans l’aide financière ?
« Il faudra forcément apporter des incitations financières, ce qui est de la compétence des pouvoirs publics. Mais il s’agit aussi de trouver des solutions innovantes en matière de covoiturage, de télétravail, se poser la question des réels besoins en mobilité de chacun. Inéluctablement, la solution passe aussi par la lutte contre les déserts médicaux, la dévitalisation des coeurs de villages… Par le combat contre tout ce qui pousse à utiliser la voiture quand il pourrait en être autrement. Le cadre est large. Réfléchir à la mobilité, c’est
en fait réfléchir à la question des usages. »
*La Chaire d’Excellence HOPE, est une initiative de la
Fondation Grenoble INP et de 13 partenaires régionaux.
L’EXPERT MOBIL’IS
Régis Largillier a fait une grande partie de sa carrière professionnelle dans l’industrie de l’énergie. Il a été pendant de
nombreuses années évangéliste et ambassadeur de l’approche Smart City et Smart Energy. Son expertise reconnue était régulièrement sollicitée et l’amenait à intervenir dans diverses régions du monde. En 2016, il a débuté une collaboration avec le
pôle de compétitivité Tenerrdis dans le cadre de la Fondation Grenoble INP. Il a créé HOPE, une chaire d’excellence, pour
apporter la puissance de l’innovation au problème de la précarité énergétique.
Mobil’is est le réseau des acteurs promouvant les mobilités innovantes en Isère.
www.mobil-is.fr